Objectif de la propriétaire : offrir les meilleures conditions d’hospitalisation pour sa jument. Eviter le mal-être induit par le stress du changement de lieu et l’hospitalisation.
La clinique étant éloignée de son domicile, elle ne pouvait rester que quelques jours par mois auprès de sa jument. Elle avait besoin d’optimiser la qualité de vie de Rosie durant cette période, sans être là et en demandant un minimum d’aide à l’équipe soignante.
La gravité du cas (inédit pour les vétérinaires) et la cécité de la jument apportait une complexité supplémentaire à ce suivi. Les enjeux ici étaient d‘éviter un mal-être préjudiciable à sa santé physique et mentale (le pronostic vital était engagé) et de favoriser un mieux-être durable (le bien-être ne pouvant être atteint compte tenu de la gravité de la pathologie).
Mon objectif dans ce cas, c’est de :
- Conserver un maximum de conditions de vie correspondant aux fondamentaux de l’espèce pour favoriser l’expression des comportements propres à l’espèce
- Créer des repères rassurants pour baisser le niveau de stress de la jument
- Former la propriétaire pour qu’elle puisse être la plus autonome possible
Déroulement de la consultation :
- Etat des lieux des conditions de vie de la jument chez elle
- Bilan comportemental
- Intégration du protocole vétérinaire, des contraintes de la clinique et de la propriétaire
Dans la synthèse de la consultation, je vous donne quelques éléments pour exemple :
La jument vit déjà depuis plusieurs années dans un environnement dégradé sur le plan social et avec de lourdes pathologies qui limitent l’expression de certains comportements.
Toutefois la jument conserve une bonne partie des activités de l’espèce : maintenance (elle connait parfaitement son paddock et sa zone de roulade), alimentation à volonté, exploration via ses autres sens…
En clinique, son environnement est plus contraint, en termes de :
- liberté de mouvement et de choix de déplacement : pas d’accès à paddock, promenades en main limitées dans la durée et dans la liberté d’action
- possibilité d’interactions avec l’humain : elles sont limitées dans le temps (quelques minutes) et principalement dédiées aux soins
- interactions sociales avec des congénères : elles ne sont pas envisageables pour des raisons sanitaires.
- possibilité de retrait vis-à-vis d’odeurs et de bruits impactant son bien-être
Précautions systématiques pour toutes solutions d’accompagnement comportemental du cheval en soins (appelé aussi enrichissement du milieu de vie)
Je demande systématiquement au propriétaire de soumettre la totalité des solutions d’accompagnement comportemental au(x) vétérinaire(s) pour approbation. Cela permet de s’assurer qu’aucune action n’a un effet délétère pour la santé de la jument. Si certaines actions ne sont pas validées par les vétérinaires, elles sont, soient ajustées comme le souhaite le vétérinaire, soient supprimées. La santé de la jument et son traitement restent la priorité dans tous les cas.
L’objectif était évidemment de pouvoir maintenir la majorité des solutions d’accompagnement comportemental en l’absence de la propriétaire, et donc d’alléger au maximum les actions à mener pour les soigneurs tout en maintenant un confort pour Rosie.
En parallèle, je forme toujours les propriétaires aux signes de mal-être afin qu’ils soient rapidement identifiés et suivis. Je les alerte notamment sur les comportements de frustration qui peuvent apparaitre parfois dans les pratiques d’enrichissement du milieu de vie.
Voici quelques extraits du protocole pour Rosie.
- Variété alimentaire via l’apport régulier d’aliments variés dans sa semaine, notamment les aliments préférés de la jument et des aliments à lui faire découvrir. Selon les possibilités de la clinique, ils sont donnés avec sa ration, après les soins ou à tout autre moment possible pour les soignants.
- Stimulations sensorielles et cognitives
- Dépôts d’odeur aux abords du box (sans surcharge compte tenu de l’odorat probablement très développé de Rosie pour compenser sa cécité) – la propriétaire utilisait déjà ces stimulations olfactives, elle est autonome sur ce point.
- La laisser explorer son environnement aussi souvent que possible. Ce qui demande quelques secondes par jour.
- Sortie en main régulière pour aller brouter en laissant la jument choisir la direction et la vitesse de son pas dans un lieu sécurisé pour sa cécité. Ce qui requiert 10-15mn à chaque sortie.
Ces actions font une réelle différence dans le bien-être des chevaux. Il est toutefois indispensable de s’adapter au cheval, son tempérament, ses expériences et de rester cohérent avec les conditions de vie habituelles. Chaque solution est adaptée à un individu, car chaque cheval est unique.
- En parallèle, outre le suivi des indicateurs de bien-être/mal-être identifiés en amont et spécifiques à la jument. Une surveillance particulière est apportée sur l’expression de certains comportements de l’espèce, comme le comportement alimentaire (fréquence, mastication, position des oreilles…) et les comportements de repos. A cet égard, la propriétaire est formée à distinguer les observables du repos et de l’apathie (l’apathie est un comportement de mal-être qui diffère légèrement dans ses observables de la prostration, comportement de douleur, bien connue des vétérinaires).
Résultats obtenus
- La jument n’a pas présenté de nouveaux comportements de mal-être, ni d’explosion de sortie de box qui aurait préjudiciable à la santé de la jument.
- Le mal-être s’il n’est pas totalement absent, est contenu à un comportement qui diminue quand on améliore les conditions de vie.
- L’expression de ses comportements reste proche des fondamentaux de l’espèce, et conforme à ses comportements dans son lieu de vie habituel et sans pathologie.
- Sorties en extérieur plusieurs fois par semaine, dans le calme, sans comportement de frustration.
Intérêt de l’accompagnement comportemental au mieux-être du cheval en soins (enrichissement du milieu de vie)
Que ce soit en clinique, centre de réhabilitation/soins ou en convalescence dans le lieu de vie habituel, ces pratiques ont montré leur effets scientifiquement (plusieurs études sur le sujet, notamment de Léa Lansade). Elles permettent de :
- maintenir une certaine qualité de vie au cheval
- éviter une dégradation de la relation à l’humain qui serait préjudiciable aux soins et à la sécurité de tous. L’amélioration de la relation est le premier effet concret de ces pratiques, notée dans toutes les études et thèses sur le sujet (INRAE, école vétérinaire de Maison-Alfort…).
- a minima réduire les comportements de mal-être qui impactent la santé (modification du microbiote, activation des gènes de l’inflammation et de la mort cellulaire…). La réduction des comportement de mal-être, comme l’impact sur la santé ont été montré ces dernières années dans plusieurs études (INRAE, CNRS, Haras National Suisse…).
- éviter les explosions de sortie de box qui peuvent entrainer un sur-accident ou la mise en danger du personnel.
Ce cas montre aussi, que même un cheval atteint d’une pathologie très grave qui dure dans le temps avec un handicap supplémentaire peut être accompagné par ces pratiques, sans risque pour sa santé tant que les solutions sont validées par les vétérinaires. Il y a toujours un gain en termes de qualité de vie, et dans la relation à l’humain, ce qui est essentiel pour les soins, mais aussi pour le cheval, car c’est parfois, la seule relation qui peut être maintenue.
Dans le cas de Rosie, son handicap et ses conditions de vie de départ apportaient plus de contraintes, pourtant les solutions proposées ont permis de stabiliser son état mental. L’état mental étant clé dans la guérison.